Figaro ou le Barbier de Kaboul (opéra Bastille)

Publié le par Antonin



Chaque année, presque rituellement, il faut qu’une représentation de l’opéra de Paris soit perturbée par une grève des techniciens de l’opéra. Cette fois, c’est le Barbier de Séville de Rossini qui en fait les frais puisque la représentation du 7 octobre s’est faite sans décors. Privé de ses décors andalous, le spectacle se révèle alors dans la nudité d'un message pas toujours très subtil.

 

Il s’agit d’une transposition de l’intrigue de Beaumarchais, dans laquelle la féministe Coline Serreau veut lire l’éternelle histoire de l’oppression des femmes.  Transportés à mi-chemin entre une Andalousie des Mille et une nuit et une sorte d’Afghanistan intégriste, Figaro n’est plus le raseur du barbon mais le barbier du mollah, le docteur Bartolo est plutôt un docteur de la foi qu’un médecin et Rosine n’est plus la naïve héritière de l’Agnès de l’École des femmes de Molière, mais une femme opprimée qui entre en scène en tchador. Pourquoi pas, dira-t-on… D’autant que tout cela est finement mené, et ne s’interdit pas la légèreté sans laquelle la musique de Rossini n’est rien.

 

Pourtant, on en revient toujours là : transformer le Tamerlano de Haendel en George Bush, l’Otello de Verdi en Barack Obama ou transposer la Guerre et la Paix de Prokofiev en Irak (toutes ces idées sont de moi, tous droits réservés), si convaincante qu’en soit la mise en œuvre, reste une opération risquée qui le plus souvent s’apparente à un profond appauvrissement. L'universalité d’une œuvre ne se résume pas aux allusions qu’elle permet à l’époque contemporaine ou à une culture différente. Si l’opéra nous fait voyager hors de notre univers, la tentation permanente de l’y ramener nous prive de l’altérité qu’il nous ouvre. Cette passion des metteurs en scène pour la dimension politique des œuvres n’est pas toujours infondée, mais elle n’épuise pas les œuvres, et, bien souvent, les enferme. On ne peut toutefois pas exclure que l’absence des décors trompe un peu la perspective.

 

C’est peut-être pour s’évader de ce message un peu attendu que la mise en scène se termine par un revirement brutal, cocasse, mais guère compréhensible. Le comte Almaviva y enlève avant de chanter son dernier aria son gilet oriental, dévoilant un maillot de l’équipe de d’Italie et se met à chanter en jonglant avec un ballon tandis que le chœur brandit des drapeaux italiens. L’effet comique et l’exploit technique lui garantissent un succès mérité. Mais si l’on devine un pied de nez à l’intégrisme, si l’on imagine, pourquoi pas, une critique sous-jacente de la société de consommation et de football qui cherche à conquérir l’Orient, il semble tout de même que la cohérence théâtrale a été un peu sacrifiée à un effet comique un peu incongru.

 

Au service de ce Barbier d’un bon niveau musical, une distribution assez homogène, dominée par le pétillant Figaro de George Petean, éclatant dans l’aigu, virtuose dans les ornements, et surtout par le comte Almaviva d’Antonino Siragusa. On tient là un ténor rossinien de première qualité, virevoltant, presque trop facile techniquement, ce qui lui permet de donner libre cours à un humour de première efficacité (que l’on songe à sa manière délicieusement désinvolte de chanter « Se il mio nome »…). Seul point faible, la Rosina de la Française Karine Deshayes : comme souvent, la critique saisit la première voix française intéressante pour la porter aux nues. Mais la technique montre rapidement ses limites, notamment dans le grave où la cantatrice peine à se faire entendre alors que ses aigus claironnants soulignent le contraste. La sympathique direction du chef Bruno Campanella donne à cette soirée particulière et sans décors une dimension colorée.

 

Publié dans Opéra de Paris

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